» Je veux une architecture qui me ressemble «
Voilà ce que m’a répondu quelqu’un qui cherchait un architecte pour lui faire une maison « originale ». Concevoir un espace à l’image de son client , qu’est ce que cela peut bien vouloir dire ?
Quand je lui demande ce que le mot « originale » signifie pour lui …il me répond… »qui me ressemble ». Vous avouez que la mission semble ardue ?
Et pourtant , Concevoir un espace à l’image de son client devrait être non seulement la mission de tout architecte mais aussi le point qui fait la différence dans les différentes propositions.
En effet …
A quoi cela sert-t-il de faire de jolis plans et une belle réalisation si cela ne correspond pas à la demande de votre client ? Quand votre client vous demande » Dessine moi un Mouton » il veut souvent un mouton à 5 pattes.
Cela implique de connaitre ses besoins, ses souhaits , et surtout d’aller plus loin … Le faire réfléchir, le tester, engager une conversation avec lui afin de connaître ses non-dits, de confronter ses rêves à la réalité, à ce qu’il aimerait mais ne sait pas formuler. Mettre en forme … et confronter.
Sommaire
- Questionner votre client.. oui mais comment ?
- Élargir le débat
- Ou refermer le débat
- Ne demandez pas pourquoi mais comment
- La créativité architecturale commence lors de la remise en question des certitudes
- Poser des questions pour augmenter le champ des possibles
- Le cahier des charges. Un document indispensable
Pour Concevoir un espace à l’image de son client tout part du questionnement.
1- Questionner .. Oui mais comment ?
Votre client va vous dire :
» Je viens d’acheter un appartement et je veux refaire la cuisine « . Faites moi un devis.
C’est short vous ne trouvez pas ! Vous avez beau avoir fait 5 ans d’études ou même plusieurs projets , vous ne savez jamais comment répondre à un truc aussi basique.
Comment répondre à ça ? soit vous partez tête baissée avec des questions du style :
- Combien de m2 fait votre cuisine ?
- Voulez vous changer votre carrelage ?
- Est ce que vous voulez conserver votre frigidaire et changer le reste de l’Electroménager ?
- Vous voulez tout refaire ou simplement une partie ?
et vous avez déjà les mains dans le cambouis…
ou alors vous prenez un peu de hauteur et vous lui demandez…
- Avez vous vu un style de cuisine qui vous intéresse ? Vous pouvez nous les montrer, Vous avez des photos ?
- Vous préférez les cuisines modernes ou plutôt les cuisines traditionnelles ?
- Qu’est ce qui vous pousse à refaire votre cuisine ?
- Et à part la cuisine, vous envisagez d’autres travaux ?
Et tout ce qui touche au métier lui même
- Pensez-vous gérer les travaux vous même ?
- Vous êtes du métier ? Je vous imagine êtes un bricoleur dans l’âme peut être ?
- comptez-vous faire une partie des travaux vous même ?
- En quoi vous avez besoin de nous en tant qu’architecte d’intérieur ?
Vous l’avez compris, Il faut absolument…
2 – Élargir le débat :
Et vous poser la question : »Est ce que le client a vraiment besoin de vous pour avoir une cuisine qui lui ressemble ?
Il n’en est pas conscient et ne sait pas ce que cela veut dire.
Votre client ne connaît que la partie émergée de son besoin. Ce qu’il en a vu ailleurs, dans les magazines, sur les blogs tendances, chez le voisin et il est en mode copier-coller.
Il pense que cela lui suffit alors il est souvent dans le démarche du bouche à oreille pour aller voir un artisan ou un cuisiniste qui voudra lui vendre une cuisine modèle, prête-à-poser.
Le client est souvent dans une démarche de consommation, pas de réflexion.
J’ai reçu par exemple ce mail l’autre jour.
Bonjour Franck,
j’ai eu votre contact via le site « ……… », j’ai acheté un appartement récemment et je voulais :
– refaire ma cuisine
– Poser du parquet
– refaire la peinture des murs.
J’aurais voulu avoir un devis.
Merci de votre retour !
et quand je lui est dis que je travaillais comme architecte d’intérieur et pas comme artisan, j’ai eu la réponse suivante.
Bonjour Franck,
merci bien pour ces informations.
Connaissez-vous des artisans compétents pour réaliser ce genre de travaux.
Je vous remercie.
Il peut juste vouloir vous soutirer les adresses des artisans que vous avez mis longtemps à sélectionner.
Posez vous la question : qu’elle est ma valeur ajoutée pour mon client ?
Et ne pas avoir besoin de vos services et gérer lui même son projet pensant faire des économies.
Vous devez le savoir dès le début . Vos questions servent à ça .
Donc pour élargir la discussion, vous commencez par lui poser des questions ouvertes, générales, pour tester la maturité de son projet d’une part et sa façon de vivre d’autre part… Du genre.. Très ouvert voire presque hors sujet..
- Vous avez acheté dans quel quartier ? Super choix… C’est le moment en effet !
- Vous avez sûrement fait une bonne affaire…
- Dans quel état général est votre appartement ?
- Vous avez un plan ?
Et là surprise je reçois un plan…. fait main sur le champ. C’est le signe d’une certaine maturité vis à vis du projet, une autonomie de votre potentiel client. Il a probablement déjà réalisé d’autres travaux ailleurs, et voir lui même.
L’objectif de ce genre de questions est avant tout de rompre la glace… Et de mieux connaître votre client et son projet.
L’architecture intérieure est un métier avant tout humain avant d’être créatif et technique… Mais il est aussi un révélateur non seulement pour le client lui même de ce qu’il veut vraiment mais aussi pour l’architecte. Poser les bonnes questions c’est aussi travailler pour vous.
Revenons à nos moutons et voyons comment il est possible d’engager des questions ouvertes pour ouvrir le débat.
- « Vous recevrez beaucoup ? «
- Vous aimez faire la cuisine ?
- Dans l’appartement que vous venez d’acquérir, la cuisine n’est pas à votre goût ? Pourquoi vouloir la changer ?
- Comment vous imaginez votre nouvelle cuisine ?
Sil n’est pas très loquace, réduisez l’ouverture des questions. le côté blanc -noir ça aide.
- Votre cuisine est destinée à une famille ? si oui la vôtre , une autre ?
- Vous rénovez pour vous ou pour louer ?
- Ah c’est pour louer en colocation ? (Vous prêcher le faux pour connaître le vrai) Vous savez que la cuisine est un élément central de la convivialité d’une colocation ?
Pour Concevoir un espace à l’image de son client , vous devez vous servir de votre questionnement pour :
- Obtenir des informations concrètes afin d’établir un budget et la faisabilité du projet.
- connaître les aspirations de votre client et enclencher une confiance réciproque et son positionnement par rapport à son projet.
Si votre client est prêt à la discussion et s’engage dans la voie de vos questions ouvertes, le chemin suivant est de poser des questions sur ses références culturelles et son usage du lieu.. comme par exemple :
- Vous êtes plutôt cuisine moderne ou traditionnelle ?
- Vous avez peut-être déjà des idées ? Des modèles qui vous plaisent et qu’on peut adapter ?
- Vous êtes plutôt Ikea ou cuisines Schmidt ? (derrière cette question se cache la façon dont votre client voit la qualité)
- Vous êtes plutôt bœuf barbecue ou bio Vegan ? ( vous en apprenez sur ses goûts culinaires )
En trame de fond vous devez en apprendre sur votre client sans trop le montrer. Plus vous serez intuitif naturellement plus ce sera facile pour vous . Sa cuisine NE DEVRAIT NORMALEMENT PAS être la même suivant l’usage qu’il va en faire.
ça parait logique et pourtant.
Par exemple s’il est grillages, viandes rouges, ou même WOK, il aura besoin de gaz pour saisir parfaitement ses aliments.
S’il est Crudivore, il aura un usage plus modéré du feu et une simple plaque de cuisson peut suffire avec des prises adaptées pour brancher un auto-cuiseur.
S’il est fin buveur, vous pourriez imaginer une mini cave à intégrer dans sa cuisine. Il n’y pense pas forcement, mais c’est votre rôle de le déceler et de lui proposer.
L’effet Wouaou. La satisfaction de votre client viendra de la bonne réalisation de ce qu’il vous demande mais le bouche à oreille fonctionnera en votre faveur si vous dépassez ses attentes.
ça vous parle ?
Pour Concevoir un espace à l’image de son client, vous mesurez l’importance du questionnement pour mieux connaitre la façon dont votre client vit, ses usages actuels et à venir, et dessiner un espace à sa mesure.
On se fait embarquer par le client la plupart du temps, et c’est finalement lui l’architecte dans tout ça, nous il nous reste la mise au propre, les plans, les travaux.
Non ! Il faut faire attention à ça .
Une cuisine (pour reprendre notre exemple) doit ressembler à celui qui va l’utiliser. Et c’est vous qui déterminez ce succès par vos questions.
3 -…Ou refermer le débat
S’il est en revanche fermé, vous devrez refermer vos questions pour le contraindre à s’exprimer sans trop se compromettre. Il y a des gens qui ont plein d’idées mais on peur de les exprimer et vous pouvez passer à côté.
On se recentre alors uniquement sur l’objet initial de la demande : la rénovation de sa cuisine.
- Vous voulez une cuisine ouverte sur le salon ou fermée comme actuellement ?
- Faut-il tout rénover ou seulement certaines parties?
- Voulez vous conserver certains éléments ? Parmi l’electro ménager ou la décoration ?
Ce sont des questions pour moi semi-fermées. Elles rassurent et permettent de renouer le dialogue lorsque votre client ne communique pas. Toutes les personnes qui ont eu de l’influence ont réussi à poser les bonnes questions au bon moment et ainsi donner une nouvelle direction à leurs projets. C’est aussi le cas avec un client et un projet de rénovation.
Quand vous avez affaire à un couple , ce qui m’est arrivé récemment sur un projet de rénovation d’une salle de bain, il faut différencier le NOUS (vous échangez avec les 2 en même temps) du TOI ( vous échangez avec l’un ou l’autre individuellement) . Les réponses ne sont pas les mêmes. Et le projet doit satisfaire les 2 en même temps ainsi que chacun individuellement.
Vous suivez encore ?
Écoutez un extrait de ce que nous dit Bernard Flavien sur l’intelligence émotionnelle.
En premier lieu savoir celui qui décide pour les 2. Lorsque je leur ai fait un « croquis sur le coin de la nappe « , et que je touchais à la cloison de la chambre pour en faire une chambre avec salle de bains « en suite » , je m’adressais à elle parce que je la connaissais. je savais que la contrainte venait d’elle. Si elle acceptait l’idée c’était gagné.
Par contre attention aux vraies questions fermées
Les questions fermées ne vous apprendront que peu de choses sur votre client, sauf pour valider un aspect sur lequel vous n’étiez pas sûr mais ce genre de question ferme le dialogue et surtout fait en sorte que le dialogue vos échappe. A éviter donc sauf dans un sondage par mail par exemple. ex. Voulez-vous du carrelage 20x 20 ou du carrelage 60x 60 ?
Pour Concevoir un espace à l’image de son client, il est nécessaire de conduire le dialogue. Le client va essayer de vous attirer vers du Oui-mais et vous devez chercher à le conduire vers le comment, afin de le rendre acteur du dialogue . Frédéric Falisse est un mec génial qui vient bousculer le tabou du : » votre fils parle trop en classe …Il pose trop de questions ».
Proposer « une cuisine parfaitement à l’image de votre client » passe par des questions essentiellement ouvertes dans un dialogue dans lequel votre client va lui-même s’auto-questionner.
4 – Ne demandez pas pourquoi… Mais comment
C’est beaucoup plus constructif.
Vous avez noté par exemple dans la demande de votre client que sa cuisine était mal éclairée , et qu’il voulait que l’on rajoute des spots pour éclairer le plan de travail.
Votre client vous donne en fait (et c’est souvent le cas, le problème et la solution).
Au lieu de lui demander:
- Pourquoi voulez vous rajouter des spots ? Vous pourriez aussi mettre des barres de LED , c’est plus moderne pour améliorer l’Eclairage de votre cuisine .
Posez plutôt la question :
- Comment serez t-il possible de rendre votre cuisine plus lumineuse ?
- Comment vous imaginez profiter de la lumière naturelle du salon dans la cuisine ?
et de nouvelles perspectives s’offrent à votre client. Ce ne sont pas encore des solutions et tant mieux.
Ces questions « comment » doivent le pousser à proposer lui même des idées ( à poser des questions sur ses questions … ce qui signifie réfléchir )que vous aller alors confronter avec lui.
Au final, la solution pourra être d’ouvrir la cuisine sur le salon, de rajouter une verrière, ect …
5 – La créativité c’est la remise en questions des certitudes.
« Il ne savait pas que c’était impossible, alors il l’a fait. »
Le questionnement de votre client est à la base de votre créativité .
Vous ne pouvez pas inventer les contraintes et les besoins de votre client ni connaitre ses attentes profondes si vous ne sortez pas des sentiers battus qui vont le pousser dans ses retranchements.
Pour aller loin dans la création vous devez faire participer votre client, le faire travailler à « son » projet. Sortir de ce qu’il vous présente comme étant la solution à son projet et qui n’est souvent qu’une possibilité parmi d’autres et peut-être pas la plus proche de lui-même c’est à dire de sa façon de vivre au quotidien .
J’utilise des outils web pour communiquer avec mon client comme des formulaires, sondages, Messenger et whatsapp. cela vous permet de conserver l’historique des échanges (important s’il y a un doute, un retour en arrière, et proposer des actions à votre client.
6 – Poser des questions pour augmenter le champ des possibles;
La démarche pour Concevoir un espace à l’image de son client est une maïeutique. Il faut arriver à ce que ce soit votre client qui propose de lui-même ce qui va lui correspondre le mieux. Vous l’aider à mieux se connaître en avançant avec lui dans la mise en forme de son projet. C’est un coaching qui ne porte pas son nom.
Quand on parle on peut soit :
- Dire: parler pour communiquer une expérience
- Poser des questions pour enrichir son expérience
Dans notre parcours scolaire ou en entreprise on ne nous a jamais appris à poser les bonnes questions.
7 – Le cahier des charges: Un document indispensable
Vous ne pouvez pas deviner ce que veux votre client et il risque aussi d’y avoir beaucoup de non-dit. Alors essayez d’aller au delà du brief. Demandez lui de rédiger un document dans lequel le maître d’ouvrage (le propriétaire la plupart du temps) va mettre noir sur blanc ce qu’il attend de son projet de rénovation. et vous pourrez commentez ainsi ce document, vérifier la faisabilité de ce qu’il vous demande et poser vous même des limites.
Or la question c’est l’élément constitutif de la réflexion.
On ne peut pas entrer en relation avec quelqu’un, votre client par exemple, si vous ne lui posez pas de questions. Aucune créativité ne peut naître sans mise en questions.
En tant qu’architecte d’intérieur , Les questions doivent rechercher à révéler le potentiel créatif de votre client et non pas ce que vous voulez entendre de votre client. Vos questions doivent servir à amener votre client à se poser lui même des questions sur sa nouvelle cuisine ou son projet auxquelles vous viendrez apporter des réponses.
Faire en sorte que ce soit votre client qui vous pose lui-même des questions. De là découlera sa véritable satisfaction et le sentiment que cette cuisine est véritablement a son image.
Conclusion :
Pour Concevoir un espace à l’image de son client , il faut bien entendu connaître ses besoins, et lui faire préciser sa demande. Vous pouvez biensûr répondre strictement à sa demande sans la reformuler, la valider, la confronter.
Mais votre rôle d’architecte d’intérieur est de rendre votre client acteur de son projet en l’amenant à se questionner lui-même (par votre questionnement) . Le questionnement passe d’abord par des mots , ensuite par des dessins …
Quel article passionnant ! En tant qu’architecte, je suis en accord avec l’auteur sur l’importance du questionnement dans la relation client. Un architecte ne doit pas se contenter de répondre à la demande initiale du client, mais doit chercher à comprendre ses besoins, ses aspirations et son mode de vie.
Le questionnement permet d’établir une relation de confiance avec le client et de l’amener à s’impliquer activement dans le projet. Il permet également de déceler des besoins non exprimés et de proposer des solutions créatives et personnalisées.
Je rajouterais qu’il est important de respecter le rythme du client et de ne pas le brusquer avec des questions trop intrusives. Il faut également savoir écouter attentivement ses réponses et reformuler ses propos si nécessaire.